Tempête dans la cuve.

"la lomographie: support de la renaissance argentique" VS "la lomographie: une opération marketing déja ancienne"

Article de Pascal Canot et Jean-Marc Tinois 

 

Acte I.

Toute une génération d’appareils au centre d’un mouvement (pas seulement) photographique.

Aux origines de ce que l’on appelle à présent sans trop y réflechir la « Lomographie » (j'y reviendrai),  il y a toute une génération oubliée d’appareils photo.

Leur caractéristique première ? Être totalement « Has been ».

Idéalement fabriqués en Russie ou en Chine, ces appareils très peu couteux et fabriqués en masse donnent des images comportant de nombreux défauts : Un fort vignettage dû à la médiocre qualité de l’objectif (parfois en plastique), un contraste élevé, des aberrations chromatiques systématiques, une saturation fortement exagérée des couleurs, une mise au point pour le moins hasardeuse, un système de visée approximatif…

Dans l'absolu, un appareil dédié à cette pratique photographique ne devrait pas s'acheter en magasin, mais plutôt sur un vide-grenier, sur une brocante, une foire au matériel. Je m'explique.

Ce mouvement consistant à réutiliser des appareils que l'on croyait perdus s'inscrit au départ dans une démarche d'opposition.

Opposition à la consommation de masse de produits technologiques, opposition au tout numérique, au tout retouché, bref opposition au tout contrôlé. Les intentions premières de ceux qui avaient imaginé cette alternative interessante ont bien vite attiré l'attention des bonnes fées du commerce qui se sont penchées sur le berceau, et d'un coup de baguette magique ont transformé l'essai.

 Quand le « Has been » devient « Mythique » : Coup de génie et coup de baguette magique.

1990 : Deux étudiants viennois font l’acquisition sur un marché aux puces de Prague d’un appareil argentique totalement désuet le LC-A, de marque LOMO, de fabrication russe (Lomo étant par ailleurs le fabriquant du célèbre Lubitel). En 1992, Ils parviennent à convaincre le fabriquant de reprendre la production de cet appareil et négocient l’exclusivité de sa commercialisation. Ils déposent le nom « Lomographie » et créent la société Lomographische AG.

Lomo LCA

"La Lomographie possède même aujourd’hui ses propres codes ».
  1. Emporte ton Lomo où que tu ailles.
  2. Utilise-le à n’importe quel moment — jour et nuit.
  3. La Lomographie ne fait pas intrusion dans ta vie, elle en fait partie.
  4. Essaie la prise de vue sans viser.
  5. Approche-toi au plus près des objets que tu veux lomographier.
  6. Ne réfléchis pas.
  7. Sois rapide.
  8. Tu n’as pas à savoir à l’avance ce que tu prends en photo.
  9. Ni par la suite.
  10. Ne te préoccupe pas des règles !

 

Bien d’autres appareils répondant à ces critères se retrouvent alors sur le devant de la scène, pourvu qu’ils soient totalement dépassés, de préférence en plastique, et qu’ils soient bien évidement argentique puisque c’est la genèse même de ce courant.

holga120NLe Holga 120N. « Mes vacances avec Holga » sont le résultat d’un parcours photographique réalisé par Frédéric Lebain à l’aide d’un appareil tout en plastique, du boîtier à la lentille, en passant par le déclencheur : un vrai jouet bon marché, pour un peu il cracherait de l’eau ! À la rubrique « toy’s camera », ce jouet au prix d’un jetable est pour chaque modèle unique et différent. Au programme du dénommé Holga : distorsion, voile, vignetage et autres avatars perturbateurs. Mes vacances avec Holga, (2001) Exposition et livre, Lauréat du Prix « Attention, talent 2001 » de la FNAC.

diana

Le Diana est un appareil en plastique bleu ciel, fabriqué depuis les années 1960 en Chine, qui utilise également un format de pellicule 120. Le magazine de photographie Réponses Photo lui décerne le titre du « Pire appareil photo jamais construit ». D’après ce même magazine, il a été distribué par le journal pour enfants Pif Gadget. Il a donc toutes les caractéristiques d’un appareil de la dite "Lomographie".

 

On pourrait encore allonger la liste des appareils photo et accessoires concernés par ce phénomène de mode (Lubitel 166 à nouveau en vente, etc).

De toute évidence, depuis quelques années on sentait bien venir l'effet "vintage" que la photographie ne pouvait ignorer plus longtemps (suite logique après le retour des disques vinyles - entre autres choses). Il suffit pour s'en convaincre de jetter un oeil aux photos postées sur les reseaux sociaux, passé à la moulinette du fameux traitement "Vintage", un filtre devenu incontournable... et qui personnellement commence à me donner de sérieuses indigestions.

Les fabricants promettent une "expérience unique" grâce à l'argentique et aux appareils instantanés, tant mieux. Je partage leur avis et je suis le premier à défendre ce point de vue.

La seule chose qui me chiffonne, ce n'est pas le commerce fait autour de ce "Retour à l'argentique" je suis très content que les fabricants de pellicules et autre matériel en profitent, non ce qui me gêne vraiment c'est le côté Jurassik Park, le folklore et la mise en scène qui va avec ce "Retour de l'argentique..." Comme pour nous persuader que l'argentique avait disparu et que ce "Retour" était une chance à saisir (avant que ça ne disparaisse à nouveau ?).

Les ficelles sont un peu grosses tout de même, et que doit-on comprendre ? Que tout ce qui semble être "à la marge" n'éxiste pas ? Non mais ! (rires).

Bien évidement, il s'agit purement de marketing et de communication, mais je ne peux m'empêcher de faire le lien entre : les réels pionniers de ce mouvement photographique d'une part, tout le packaging bien comprehensible de la Lomographie d'autres part, et ceux qui revendiquent même une forme de "décroissance raisonnable de la consommation" un holga dans la main...un smartphone tout neuf dans la poche.

Et puis ce mot "Lomographie" qui est une marque commerciale et non pas une révolution ! Pour information, la photographie existait bien avant 1990... enfin, je crois.

Pardon, mais je suis encore un peu agacé par une vidéo vue sur internet, de quelqu'un qui, (sans doute de bonne volonté, je ne lui en veux pas), utilisait ce mot à tout bout de champs : "Je fais de la LO-MO-GRA-PHIE !" J'imaginais le retour prochain des cassettes audio et la création d'une marque de cassettes "Cassetophonie" et je l'imaginais appuyant fiérement sur le gros bouton lecture d'un poste des années 80' en disant : "Je fais de la CA-SSE-TO-PHO-NIE !", soyons sérieux, cela n'a aucun sens.

Photographie, ça suffira, pour le reste on verra aprés. 

« L’argentique renaîtrait-il de ses cendres grâce à la "Lomographie" ? »

Il s’agit toutefois d’un véritable paradoxe. Au moment même ou la photographie numérique a totalement envahi notre quotidien (appareils compacts, bridges, reflex, smartphones, multiplication des écrans et des applications) et supplanté la pellicule par ses nombreux avantages, l’argentique renaît toutefois de ses cendres grâce à ses défauts, ou plutôt grâce à ses charmes. S’il existe aujourd’hui sur le marché des objectifs ou des kits dédiés à la "Lomographie" pour les appareils numériques (pour adapter par exemple des objectifs Diana sur les reflex), l’intérêt réside avant tout dans le fait d’utiliser des appareils (réputés inutilisables) qui ont marqués leur époque, de bousculer un peu les normes imposées par le « tout technologique », et de se laisser surprendre par les résultats obtenus… après développement du film et dans le meilleur des cas, tirage papier !

 

Pascal Canot.

 

Acte II.

Le point de vue de Jean-Marc.

 

Voilà une colère contre la Lomographie qui ne manque pas d’arguments mais nous laisse sur notre faim dans la mesure où elle ne débouche pas sur une conception concrète de la photo argentique, tant au niveau des moyens que des buts.

Je me permets donc, cher Pascal, de remettre un peu d’ordre dans le labo, de reprendre quelques points et d’ouvrir sur d’autres perspectives.

Oui, la Lomographie est une opération marketing déjà ancienne : il n’y a pas de raison qu’elle s’arrête maintenant puisque c’est une marque qui fait de gros bénéfices, il suffit de voir les vitrines de nos photographes préférés ! Le tour de passe-passe consiste en une confusion bien ordonnée entre la marque et un prétendu style photographique !

Non, elle ne contribuera pas au «retour de l’argentique» pour la bonne raison qu’il n’a jamais disparu, sauf dans l’esprit un peu étroit de certains, persuadés que depuis l’avénement de l’ère numérique, tout ce qui existait avant a disparu par un phénomène de glaciation totale.
Non, tout le monde n’est pas obligé de passer par la Lomofolie pour faire de l’argentique: c’est aussi pour cela que nous sommes en club : les mêmes appareils (moins esthétiques il est vrai) sont proposés par caisses entières pour quelques Euros dans les foires photo. Les Lomo, eux, sont vendus très chers !

Attention, l’abus de Google peut nuire à votre santé ! Des imbéciles qui racontent n’importe quoi sur le net, ça ne manque pas.


Mais si on parlait photo ?

Tout en la citant, tu ne dis pas que la série «Mes vacances avec Holga» est une vraie perle: fraîche, colorée, émouvante. Les imperfections des images vont contribuer à la renommée du Holga, beaucoup de résultats décevants mais tout de même quelques pépites, en couleur comme en noir et blanc.
Le succès de la lomo va s’appuyer sur un mouvement datant des années 1970 et visant à se débarrasser de tout ce qui n’est pas indispensable pour faire une photo. Juste garder le minimum: un boitier avec un déclencheur et un objectif plastique. Pour être disponible au plus important: le cadre et le moment du déclenchement. S’approcher davantage de ce qu’est la photo ? Quoiqu’il arrive, le matériel est constitutif de la photo...
On ne peut parler de ce type de photos sans évoquer Bernard Plossu qui a utilisé dès la fin des années 1960 des appareils jouets et entre autres un Agfamatic Sensor et un Instamatic Kodak pour des commandes dans le cadre de son travail de photographe professionnel. Tout le reste de son oeuvre a été réalisée avec un Nikkormat FT2 et un seul objectif 50MM f:1,4.
Il dit mieux que moi dans l’interview ci-jointe sa conception d’une telle démarche et les pièges dans lesquels il ne faut pas tomber.(1)

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Photos : Bernard Plossu.

 

Liens :

(1) Entretien avec Bernard Plossu.

 

 Pour ceux qui voudraient pousser plus loin, un lien vers ce qu’a pu en dire Serge Tisseron, psychiatre spécialisé dans la signification des images (2).

(2) Serge Tisseron.

 

Le mystere de la chambre claire

 

 

 

A lire aussi : "Le mystère de la chambre claire".

Serge Tisseron

Editions Flammarion

Collection Champs Arts

190 pages

Parution : 2008.

 

Jean-Marc Tinois.